Les alliances intergouvernementales pour sauver l'humanité sont-elles encore possibles ?


Voici la 5e partie d'un essai en sept parties sur le type d'innovations politiques qui répondraient à la difficile situation environnementale et sur les raisons pour lesquelles la plupart des professionnels de l'environnement ignorent ces idées, et promeuvent à l’inverse des idées limitées et restrictives. Ces idées pour une Véritable Révolution Verte offrent un contraste avec les programmes actuels, dans le but d'encourager un mouvement environnemental mondial en tant que force politique basée sur les droits. Dans cette partie de l'essai, je me concentre sur les initiatives de financement, la géo-ingénierie (restauration et réparation du climat), les réparations et l'écocide, la migration des écosystèmes, l'énergie nucléaire et la difficile réalité du travail systémique sur l'adaptation au changement climatique ; des thèmes peu sujets à débats ;-)

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Fonds intergouvernementaux d'urgence climatique

Au cours des dernières décennies, de nombreuses promesses de financement de l'action climatique et d'autres causes internationales, telles que la réduction de la pauvreté, sont restées lettre morte. Même si les montants promis ne sont pas à la hauteur des besoins et sont ridicules comparés aux renflouements des banques ou aux dépenses militaires, ils sont néanmoins retirés lorsque les gouvernements cherchent à réduire les dépenses dans ce qu'ils considèrent comme non essentiel. La situation climatique difficile est une préoccupation mondiale partagée et, par conséquent, les efforts déployés dans le cadre du programme #ClimatePlus nécessitent un nouveau système de financement mondial. Nous ne devons plus compter sur les budgets gouvernementaux existants ou sur la bienveillance des nations plus riches et de leurs futur•e•s hommes et femmes politiques. Nous devons donc envisager sérieusement de nouvelles formes de seigneuriage international des instruments monétaires.

Une option pour ce nouvel instrument monétaire pourrait être les droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI). Une autre option pourrait être un instrument monétaire émis en partenariat avec la Banque des règlements internationaux par une agence responsable devant l'Assemblée générale des Nations unies. Dans les deux cas, une nouvelle agence internationale chargée de gérer l'émission et l'utilisation des fonds serait essentielle, et ne serait pas uniquement composée (et gouvernée) par les spécialistes de la banque ou les représentants des pays les plus riches. Au contraire, une organisation plus pluraliste comme l'Union interparlementaire et une organisation plus multidisciplinaire comme la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) pourraient se voir confier un rôle clé.

Les fonds de cette nouvelle agence seraient attribués aux gouvernements nationaux, régionaux et locaux, aux agences intergouvernementales et aux organisations à but non lucratif qui travaillent sur tous les aspects de l'agenda ClimatePlus. Les entités à but lucratif doivent être exclues en tant que bénéficiaires, car leur implication encouragerait les efforts de lobbying et de relations publiques qui pourraient affecter la dispersion des fonds de manière sous-optimale. Le seul domaine dans lequel les sociétés à but lucratif seraient éventuellement bénéficiaires pourrait être via l'utilisation des instruments monétaires comme garantie, pour accepter la première tranche de toute perte sur les fonds d'investissement liés à ClimatePlus, réduisant ainsi le risque pour les investisseurs privés dans ces fonds. Ces fonds d'investissement recevraient des paiements effectifs uniquement s’ils perdaient de l'argent, et il pourrait même y avoir des retours sur investissement qui pourraient être recyclés dans le système de garantie des fonds.

Bien que cette idée puisse sembler éloignée du sujet du taux de partie par million de CO2 dans l'atmosphère, il est évident pour quiconque après des décennies d'échec que tant que les sommets pour le climat, le G7 et le G20, entre autres, ne lancent pas un nouveau mécanisme majeur pour atteindre les objectifs et les promesses financières, les hommes et femmes politiques actuel•le•s continueront pour la plupart de jouer la comédie et n’honoreront pas ces promesses.

Alliance internationale pour la réparation de l'Arctique


Il est important, tant pour les professionnels de l'environnement que pour la société au sens large, de développer rapidement une approche de la question de la géo-ingénierie très différente de celle qui a été adoptée jusqu'à présent. Nous devons tester et déployer rapidement les technologies les plus sûres qui peuvent aider à réparer immédiatement la calotte glaciaire de l'Arctique. Par exemple, les experts savent depuis plus de dix ans que l'éclaircissement des nuages marins pourrait être une technologie rapidement déployable, ciblée, bon marché et sûre à expérimenter dans la seule région de la mer Arctique. Des navires spécialement conçus pulvériseraient de l'eau de mer dans l'atmosphère au-dessus de l'océan Arctique afin de créer des nuages qui remplaceraient le pouvoir réfléchissant perdu de la glace océanique fondue. L'Arctique se réchauffe à un rythme considéré comme sans précédent et dangereux par les experts du pôle Nord, déstabilisant le courant-jet polaire et provoquant des vagues de chaleur, des sécheresses, des inondations, des gels profonds et des gelées hors saison. Outre le fait que ces phénomènes météorologiques sont une cause directe de décès humains, le réchauffement de l'Arctique endommage notre approvisionnement alimentaire et nos écosystèmes. Les critiques à l'encontre de l’éclaircissement des nuages marins sont liées à son déploiement ailleurs dans le monde, où cette technologie pourrait perturber les régimes climatiques. Son utilisation dans l'Arctique est une évidence pour la survie de centaines de millions de personnes qui trouveront certaines céréales soudainement trop chères à l'achat si nous continuons à subir de graves perturbations météorologiques.

Le « problème » est que cette technologie n'offre ni un rendement facile ni un rendement élevé aux investisseurs en capital-risque : la technologie est simple, alors qu'il n'y a pas de client évident à qui vendre une quantité d’éclaircissement des nuages – contrairement au marché des compensations de carbone. Si notre objectif est d’aider le monde, cette situation est en réalité bénéfique, car elle signifie que nous pouvons avoir une approche peu coûteuse du déploiement qui n'est pas entravée par la propriété intellectuelle ou de grands défis technologiques. Cependant, dans un monde où notre conversation sur la technologie est dominée par des intérêts à but lucratif, cette situation est problématique pour l’éclaircissement des nuages marins. Cela signifie qu'au fil des ans, cette technologie n'a pas bénéficié des efforts de relations publiques et du lobbying politique associés à d'autres technologies de « géo-ingénierie » susceptibles de rapporter gros aux investisseurs en capital-risque, comme les machines de capture directe du dioxyde de carbone dans l'air (CAD). Ces machines consomment des quantités tellement importantes d'énergie pour extraire le carbone de l'atmosphère qu'elles n'ont de sens climatique que si elles sont alimentées par de l'énergie géothermique. C'est pourquoi quelques-uns des projets phares ont été implantés en Islande. La forte activité de la croûte terrestre dans cette région soulève quelques questions quant à la viabilité à long terme des machines ou des méthodes de stockage du carbone fixé. En outre, la plupart des projets ne sont pas prévus en Islande. Même s'ils l'étaient, il est important de se demande à quoi d’autre pourrait servir l'énergie utilisée pour alimenter les machines. Pourrait-elle plutôt être utilisée pour recharger des batteries ? Pourrait-on à la place produire de l'hydrogène ? Les machines de CAD sont attrayantes pour les investisseurs en capital-risque car elles offrent un potentiel de brevet et de vente de crédits carbone aux entreprises et aux gouvernements qui veulent faire bonne figure. De plus, elles offrent une histoire séduisante de sauvetage technologique de nos sociétés modernes du chaos climatique aux personnes qui ne sont pas prêtes à faire face à la situation réelle de l'humanité.

La proéminence illusoire des machines de CAD dans les discussions actuelles sur la « restauration du climat » et la « réparation du climat » est l'exemple le plus récent de la manière dont la prédominance des intérêts commerciaux dans l'économie de marché peut conduire à des résultats peu constructifs. Les intérêts commerciaux ont faussé l'agenda politique sur le climat en tant que défi à long terme depuis 1997 (comme je l'ai expliqué dans la partie 2 sur le système de quotas d’émission cessibles). Aujourd'hui, ils risquent de fausser l'agenda politique sur le climat en tant qu'urgence à court terme. Par conséquent, nous avons besoin d'alliances internationales sur la question de la géo-ingénierie (qu'elle soit qualifiée de restauration ou de réparation du climat) qui soient explicitement conçues pour ne pas être influencées par les intérêts des investisseurs en capital-risque dans certaines technologies. Contrairement aux récentes initiatives « pluripartites » qui attirent l'attention en tant que sauveurs potentiels du climat, de telles alliances doivent explicitement limiter la participation et l'influence des entreprises. Nous n'avons pas le temps de réapprendre les raisons évidentes et anciennes pour lesquelles de puissants groupes agissant dans leur propre intérêt ne devraient pas diriger les agendas politiques. Au lieu de cela, une Alliance internationale pour la réparation de l'Arctique pourrait examiner une série d'idées, y compris l’éclaircissement des nuages marins, les miroirs réfléchissants, les billes de verre réfléchissantes et autres, avec une représentation complète et puissante des communautés potentiellement concernées. Une telle alliance a besoin de sceptiques pour contrebalancer les techno-extrémistes qui ne peuvent accepter la possibilité d'un échec technologique pour protéger notre mode de vie actuel. Il faut espérer que les différences et les tensions que cela implique conduiront à des décisions intelligentes. Lorsque ces décisions seront prises, les projets pourraient avoir accès à des fonds provenant de nouveaux mécanismes de financement, tels que celui que j'ai décrit ci-dessus. Une telle alliance aura besoin du soutien d'un traité intergouvernemental qui rendra illégal au niveau international le lancement de projets de géo-ingénierie sans des formes similaires de gouvernance responsable.

Alors que de nombreuses personnes engagées dans les questions climatiques préfèrent ne pas se pencher sur ces questions de géo-ingénierie, le faire peut compléter une action audacieuse pour réduire et stopper les émissions, préparer aux perturbations à venir et tenter de régénérer des écosystèmes et compenser des communautés pour leurs pertes et dommages. Je suggère un agenda ClimatePlus dont aucune partie n'est utilisée pour saper l'engagement envers une autre partie, contrairement à la façon dont certain•e•s hommes et femme politiques ignorant•e•s tentent de mettre l'accent sur l'adaptation et la géo-ingénierie comme alternatives aux réductions audacieuses des émissions.

Commission internationale de vérité et de réconciliation sur l'écocide


Il n'est pas possible d'adopter une approche systémique d'un problème ou d'un dilemme vaste et complexe si l'on ne s'interroge pas sur ce qui a mal tourné en premier lieu. Nous serions également incapables d’apporter une réponse systémique aux pertes et dommages actuels et futurs causés par le chaos climatique si nous n'explorons pas la manière dont nous pourrions permettre la guérison, la justice et les réparations pour les dommages causés. Il est d'ores et déjà évident, au fur et à mesure que l'effroyable situation climatique devient évidente pour un plus grand nombre d'entre nous, que la colère intergénérationnelle va s'amplifier, ainsi que la colère contre les sociétés qui ont le plus contribué aux dommages qui s'aggravent actuellement. Bien que cette colère puisse être justifiée, si elle devient un phénomène social répandu et s'accompagne d'une différenciation négative des populations, elle pourrait conduire à des conflits improductifs. Il faudra déployer de grands efforts publics pour connaître les dommages et les souffrances qui se sont produits et qui sont désormais inévitables malgré nos efforts pour les arrêter, les raisons de cette situation, les personnes qui ont bénéficié de la destruction, celles qui ont mis en garde contre celle-ci, et les mesures financières ou autres qui peuvent être prises pour améliorer quelque peu la situation. Les réparations financières destinées aux efforts d'adaptation menés localement face aux perturbations climatiques devront constituer une partie importante d'un tel processus, peut-être en utilisant un nouvel instrument monétaire, comme décrit ci-dessus.

Rendue célèbre par les processus mis en place en Afrique du Sud après l’apartheid, une Commission vérité et réconciliation est un organe officiel chargé de découvrir et de révéler les méfaits passés des gouvernements ou des acteurs non étatiques (tels que les entreprises), dans l'espoir de résoudre les relations actuelles affectées par ces méfaits passés. Il est désormais évident que des actes répréhensibles ont été commis à l'échelle géologique : l'homme moderne, sous l'impulsion des puissances économiques, a dégradé et détruit des écosystèmes et a ainsi porté préjudice aux populations. Les dommages anthropiques graves occasionnés à la nature, généralisés ou à long terme, qu'ils soient intentionnels ou non, sont qualifiés d'« écocide ». Une Commission Internationale de Vérité et de Réconciliation sur l'Écocide (CIVRE) pourrait permettre le partage non seulement des données, mais aussi des récits et des émotions liés aux dommages passés et actuels. Elle pourrait explorer les raisons pour lesquelles cette situation s'est produite, dans le but d'approfondir la vérité plutôt que le blâme. Elle pourrait mettre en avant les personnes et les cultures qui ont mis en garde contre les approches et les pratiques qui ont causé l'écocide et qui continuent de le faire. Elle pourrait aboutir à des réparations financières, peut-être en utilisant les fonds du nouveau mécanisme décrit ci-dessus. Dans la plupart des pays, l'écocide n'est pas considéré comme un crime, et il n'est pas non plus reconnu comme tel au niveau intergouvernemental. Cependant, cette commission pourrait compléter les processus de responsabilité juridique, lorsque cela est possible, pour des torts spécifiques liés aux lois actuelles.
Si l'agenda international de la politique climatique ne fait pas réellement de la place à la justice et à la guérison climatiques, en mettant l'accent sur les réparations et en soutenant financièrement les décisions, il sera incomplet. Le CIVRE serait une contribution à cet égard.

Alliance internationale pour la migration des écosystèmes


La végétation aide à fixer le dioxyde de carbone de l'atmosphère. Si ce n'était pas le cas, il n'y aurait pas de chaîne alimentaire, pas de combustibles fossiles, pas d'humains et pas de civilisation telle que nous la connaissons. C'est pourquoi les forêts ont toujours été considérées comme les poumons de la Terre, aspirant le carbone et rejetant l'oxygène. Certains estiment que les forêts absorbent un tiers du dioxyde de carbone produit par l'homme. Cela signifie que la déforestation n'est pas seulement tragique pour les populations et les espèces qui vivent dans les forêts ou qui en dépendent, mais qu'elle constitue également une préoccupation majeure pour la stabilité du climat. En outre, les forêts maintiennent la configuration des pluies et retiennent les précipitations dans les sols, évitant ainsi que l'eau n'inonde et n'érode les sols nécessaires pour l'agriculture (et que les forêts ont également produits). Avec tout cela à l'esprit, il est triste et effrayant de constater que, selon les Nations unies, au moins dix des forêts les plus célèbres du monde émettent désormais plus de CO2 qu'elles n'en absorbent. En modélisant les changements actuels et prévisionnels, des chercheurs américains ont estimé qu'à l'échelle mondiale, les forêts deviendront une source, et non un puits, de carbone dans les 30 prochaines années. Si la quantité de végétation qui meurt est supérieure à celle qui la remplace, du carbone est libéré. Lorsque les sols s'assèchent, du carbone est libéré. Avec la fonte du pergélisol, du carbone est libéré. Lorsque les forêts et leurs sols tourbeux brûlent, du carbone est là aussi libéré. Ces changements constituent l'un des quinze points de bascule climatiques qui nous rappellent à tous qu'il faut cesser de croire que tout déclin ou toute dégradation sera lent, régulier et réversible. C'est pourquoi il est important et utile que la conservation des forêts soit l'un des principaux points d'accord du sommet pour le climat COP26 de Glasgow. Toutefois, étant donné que les forêts tendent à devenir une source de carbone, il est essentiel que notre approche des forêts, et des écosystèmes en général, évolue en fonction de la connaissance des impacts actuels et probables des changements climatiques. Cela signifie que la conservation de la nature doit évoluer vers un nouveau paradigme que l'on pourrait qualifier de « conservation adaptative ».

La pratique de la conservation de la nature est née de l'intérêt porté, il y a plus d’un siècle, à la préservation des paysages et des espèces qu'ils abritent, en réponse aux menaces posées par l'expansion des villes et l'utilisation agricole et industrielle des terres. La clé est dans le mot « conservation ». Cependant, dans un monde au climat changeant, l'objectif de préserver les espèces, de maintenir les écosystèmes et de protéger les beaux paysages sera miné par l'attachement au paradigme existant de la conservation. Au lieu de cela, les plantes et les animaux deviennent inadaptés à leurs environnements changeants. Par conséquent, lorsque les défenseurs de l’environnement continuent à considérer certaines espèces comme « invasives » et à chercher à les contrôler, cela va de plus en plus à l'encontre de la survie d'un écosystème dans un environnement en mutation. Ces changements sont la raison pour laquelle les chauves-souris et les oiseaux modifient leurs habitudes migratoires. C'est pourquoi certains insectes, ainsi que des espèces animales et végétales se déplacent vers des latitudes et des altitudes plus élevées. Cependant, de nombreuses espèces ne peuvent pas se déplacer assez rapidement, ni franchir certaines barrières (mers, lacs et chaînes de montagnes), et beaucoup ne savent pas où il serait préférable de se déplacer. L'homme peut-il aider le reste de la nature à faire face aux perturbations que nous avons causées ? Peut-être, et peut-être pas. L'histoire de la gestion de l'environnement est remplie d'exemples désastreux d'humains bien intentionnés introduisant de nouvelles espèces dans les écosystèmes et les détruisant involontairement par la même occasion. Par conséquent, la plupart des efforts en matière de migration des écosystèmes devraient être axés sur l'aide à la migration des arbres (car ils sont lents à se propager et à croître), et non plus sur la gestion des paysages pour empêcher un changement de la flore et de la faune qui se produit naturellement en raison du changement climatique. Par conséquent, les professionnel•le•s de la conservation doivent cesser d'essayer de maintenir les paysages tels qu'ils étaient autrefois. Cela signifie davantage de recherche sur la translocation d’espèces et un investissement majeur dans la migration assistée des arbres. Toute politique et tout financement de la conservation des forêts doivent tenir compte de cette situation.

Alliance internationale pour la transformation du nucléaire


En raison des risques élevés et des avantages potentiels, le monde a besoin de toute urgence d'une nouvelle approche du secteur nucléaire, au-delà des agendas de défense limités et des objectifs commerciaux. L'histoire de l'énergie nucléaire a été façonnée par les aspects défensifs et avides de la nature humaine, créant ainsi un danger inutile pour l'humanité et le reste de la nature. Je fais référence, tout d'abord, à l'intérêt de certains gouvernements que les centrales nucléaires créent du plutonium afin que leurs armées puissent fabriquer des bombes nucléaires. Ainsi, ils choisissaient les conceptions de centrales nucléaires qui, en tant que sous-produit, créaient les déchets nucléaires les plus dangereux et les plus durables. Aujourd'hui, des centaines de tonnes de déchets de plutonium sont stockées et présentent un risque élevé de pollution radioactive. Le deuxième problème est que les centrales qui étaient financièrement les plus intéressantes à l'époque ont été choisies même si elles n'étaient pas les plus sûres. Par conséquent, il existe aujourd'hui des centaines de centrales nucléaires dans le monde, qui présentent des risques en cas de catastrophe naturelle ou de bouleversement de la société. Par exemple, elles ne passent pas d'elles-mêmes à l'arrêt à froid, dépendent d'une alimentation secondaire pour le refroidissement et utilisent de l'eau ou des gaz sous pression, ce qui augmente les risques de fuites. Elles ont également besoin d'eau pour les turbines et le refroidissement, et sont donc implantées dans des zones qui seront probablement inondées dans les années à venir (voire qui manqueront parfois d'eau). Pendant des décennies, l'industrie nucléaire a mis la main au portefeuille soit en enterrant les déchets radioactifs dont la demi-vie est d'au moins des dizaines de milliers d'années, soit en les laissant dans des piscines de désactivation (dont beaucoup sont exposées à des risques d'infiltration, mais aussi à la faune qui se nourrit d'algues et d'autres organismes vivant dans les piscines). Les choix technologiques du passé nous ont également posé des problèmes de confinement lors d'accidents passés, notamment à Tchernobyl et à Fukushima.

Le débat politique actuel sur le nucléaire est très polarisé, certains enthousiastes minimisant les risques liés aux déchets dangereux et aux défaillances potentielles de la plupart des technologies nucléaires. À l'inverse, de nombreux opposants à l'énergie nucléaire cherchent à y mettre fin sans se demander si cela ne nous empêcherait pas d’épuiser le plutonium hautement toxique dans une nouvelle génération de réacteurs, laissant ainsi un danger bien plus toxique aux générations futures et au reste de la vie sur Terre. Ajoutez à cette polarisation les sombres tactiques des campagnes de relations publiques financées par le nucléaire, qui cherchent à saper toute menace crédible à la viabilité commerciale actuelle des propositions de nouvelles constructions, et nous avons un environnement toxique pour la délibération politique. Par exemple, de nombreux•ses professionnel•le•s du nucléaire considèrent l'anticipation des pires scénarios climatiques comme une menace pour leur activité, car elle rend moins probable l'obtention d'autorisations, de capitaux et d'assurances pour leurs projets qui nécessitent des décennies d'investissement. C'est une des raisons pour lesquelles le domaine de l'« adaptation radicale » a fait l'objet de critiques trompeuses. Il est important que nous nous élevions au-dessus des factions qui dominent les délibérations sur la politique nucléaire et que nous examinions à nouveau les choix qui seraient les plus bénéfiques. Dans ce but, je propose que le fait que nous entrons dans une ère de chaos climatique, parallèlement aux demandes énergétiques d'un monde en voie de décarbonation, signifie qu'une stratégie à trois volets est nécessaire pour l'avenir du nucléaire. Une telle approche refléterait une transformation de la manière dont la politique nucléaire a été menée ces dernières années.

Premièrement, il faut créer un groupe de travail international sur la sûreté de l'énergie et des déchets nucléaires, doté de pouvoirs juridiques et mieux équipé que les autorités et les équipes de sûreté actuelles. Il élaborerait un plan à long terme pour faire face à la montée du niveau des mers et à l'assèchement des lits des rivières, et financerait les changements nécessaires. Il serait également soutenu par des accords intergouvernementaux sur la manière dont les pays mettent leurs centrales nucléaires à l'arrêt en toute sécurité dans les situations où leurs sociétés sont perturbées par des conflits civils ou d'autres perturbations. Un tel accord engagerait les gouvernements à permettre à une équipe d'urgence internationale de gérer l'arrêt sécurisé d'une centrale si un pays ne respecte pas ses engagements en matière de sécurité dans une situation de crise sociétale. Par conséquent, cette force opérationnelle devrait conserver les capacités nécessaires pour se déployer partout dans le monde où il existe une centrale nucléaire ou un centre de stockage de déchets nucléaires en surface.
Deuxièmement, il doit y avoir une interdiction internationale de construction de toutes les centrales nucléaires qui ne contribuent pas de manière significative à la réduction de la crise des déchets de plutonium. Actuellement, la plupart des nouvelles centrales nucléaires construites dans le monde utilisent des modifications des réacteurs existants refroidis à l'eau. Au Royaume-Uni, par exemple, Hinkley Point C, en cours de construction, et le projet Sizewell C devraient tous deux être annulés, car il s'agit d'une technologie à haut risque qui comporte des risques de fusion en cas de perturbation environnementale ou sociétale et qui génère des déchets dangereux.

Troisièmement, si les capitaux privés ne suffisent pas à soutenir l'exploitation commerciale d'une nouvelle génération de centrales nucléaires qui détruisent les déchets de plutonium comme une partie importante de leur source de combustible, on pourrait alors envisager un financement par le biais de nouveaux mécanismes internationaux. Toutefois, dans ce cas, il faudrait qu'il s'agisse d'entreprises à but non lucratif ou d'entreprises publiques, afin d'éviter les effets néfastes du lobbying des entreprises dans un domaine aussi important que l'énergie nucléaire. Les technologies que je décris ici sont les réacteurs à sels fondus. Contrairement aux autres types d'énergie nucléaire existant dans le monde, les cœurs des réacteurs à sels fondus ne peuvent pas entrer en fusion, ne mettent aucune substance sous pression, ne peuvent pas libérer d'isotopes dangereux dans l'air, peuvent être conçus pour s'arrêter d'eux-mêmes par le simple effet de la gravité en cas de problème et n'ont pas besoin d'être situés près d’une source d’eau, évitant ainsi les problèmes d'inondation ou de sécheresse. La clé est qu’ils peuvent utiliser les déchets de plutonium comme source de combustible et produire des déchets beaucoup moins dangereux, réduisant ainsi la quantité d'une matière extrêmement dangereuse qui le resterait pendant des dizaines de milliers d'années. En raison des préoccupations réalistes concernant les dangers liés au transport du plutonium vers les nouveaux réacteurs nucléaires, l'une des meilleures options serait des réacteurs PRISMconstruits à proximité des sources de déchets de plutonium, tout en étant suffisamment éloignés de la côte, les pires augmentations du niveau de la mer étant prévues. Une autre option est celle des réacteurs à sels fondus qui utilisent un combustible moins dangereux (ne pouvant pas être utilisé pour des armes) créé par des usines de retraitement situées également à proximité des déchets de plutonium. C'est la méthode utilisée par les projets d'énergie nucléaire TerraPower et Aurora. En outre, une nouvelle génération de réacteurs à sels fondus au thorium utiliserait du plutonium dans le mélange avec du thorium, largement disponible, pour produire de faibles niveaux de déchets, ce qui contribuerait également à résoudre la crise des déchets de plutonium.

Ma suggestion d'interdire toutes les centrales nucléaires autres que celles qui contribuent à résoudre le problème des déchets nucléaires les plus graves peut sembler draconienne à de nombreuses personnes appartenant à cette industrie ou la soutenant. Pourtant, nous ne devrions pas aggraver les risques auxquels sont confrontées les générations futures alors que nous entrons dans une ère de bouleversements pour l'humanité. Ma suggestion, à savoir le financement international d'une nouvelle génération de réacteurs nucléaires qui ne présentent pas les risques de nos centrales actuelles et qui contribuent à réduire considérablement la question des déchets de plutonium, semblera téméraire et naïve à de nombreux membres du mouvement écologiste. Pourtant, nous ne devons ni ignorer la demande d'énergie existante qui ne peut être satisfaite par les énergies renouvelables dans toutes les régions du monde, ni prétendre que le problème des déchets de plutonium n'existe pas, au risque de laisser un héritage toxique aux générations futures et au reste de la vie sur Terre. Ma proposition d'une agence qui, dans certaines circonstances, pourrait passer outre la souveraineté nationale pour entrer dans un pays et fermer les centrales nucléaires dont le cœur risque d’entrer en fusion, peut sembler à la fois dérangeante et trop dramatique pour certaines personnes. Un tel rejet ignore à la fois l'étendue du danger et le risque croissant de ruptures sociétales dans des sociétés auparavant considérées comme stables. Malheureusement, sur ce sujet, les personnes s'exprimeront encore probablement selon des points de vue qui servent leurs employeurs ou leurs identités personnelles comme étant sincèrement vertes, technologiquement optimistes ou sociétalement fatalistes. Tout comme dans le cas de la géo-ingénierie, nous avons besoin de personnes engagées dans ce sujet qui ne soient ni technophobes ni technophiles, et qui ne soient pas en conflit d'intérêts en raison de leur emploi ou de leur carrière.

Alliance internationale sur l'adaptation aux changements climatiques


Il est normal que les conseillers politiques et les chercheurs apparentés définissent un programme et pensent ensuite qu'il existe et peut être mis en œuvre correctement, avec les connaissances, les conseils et les ressources nécessaires. Cela n'a jamais été aussi vrai que pour l'idée d'adaptation au changement climatique. La déstabilisation rapide du climat affecte tous les aspects de nos vies, qu'il s'agisse du prix des denrées alimentaires ou de la disponibilité d'une assurance contre les inondations, de la propagation des maladies de la faune sauvage ou des motivations des immunologistes qui étudient les coronavirus, ou encore de la fermeture des fenêtres en raison du smog estival ou de la perte de curiosité due au fait que l'anxiété ferme les esprits. L'idée selon laquelle il serait possible de parler de manière cohérente de la bonne réaction à avoir face à notre environnement revient à dire que l'on peut prédire quel papillon s'envolera à la date et à l'heure exactes où le prochain grand tremblement de terre frappera San Francisco. Bien sûr, le papillon n'a même pas encore vu le jour (on espère), aussi l’arrogance du calcul au sein de systèmes complexes devrait-il prendre des proportions magiques. Pourtant, l’arrogance des conversations sur l'adaptation est normale, et couverte par la sémiotique rassurante de la politique du « bla bla ». Si vous lisez les résultats de n'importe quel sommet sur l'adaptation au changement climatique au cours de la dernière décennie, vous constaterez qu'ils réutilisent les idées géniales existantes sur l'égalité des sexes, la participation locale, la responsabilité démocratique. Ils insisteront sur l'importance d'aider les organisations et les communautés à devenir plus agiles et résilientes face aux perturbations dues à des conditions météorologiques étranges, tout en ne proposant rien de significatif pour contrer la vague de mondialisation économique qui renforce la dépendance de ces communautés à des processus sur lesquels elles n'ont aucun contrôle, et qui nécessitent le bon fonctionnement de chaînes de valeur complexes entièrement exposées aux impacts directs et indirects du chaos climatique. Financés par les mêmes institutions qui profitent de cette mondialisation économique, il n'est pas étonnant que de nombreux projets d'adaptation au changement climatique soient considérés par des chercheurs indépendants comme des projets cupides d'infrastructure ou de commercialisation de produits agricoles qui ne font qu'accroître la marginalisation des communautés vulnérables. Même les centaines d'initiatives qui ont le mérite d'aider les gens à faire face aux perturbations et à l'incertitude, par exemple en fournissant aux agriculteurs ruraux des informations sur la météo et les prix du marché, ne sont que des efforts fragmentaires pour mieux tenir le coup.

Des critiques similaires peuvent être formulées à l'encontre des variantes de l'adaptation appelées adaptation transformatrice et adaptation radicale. Si l'adaptation qui tente de maintenir les moyens de subsistance et les modes de vie actuels est déjà difficile à identifier et à promouvoir dans un monde hyper complexe, le fait d'ajouter la nécessité de supprimer ou de baisser l'empreinte carbone ne réduit en rien la manière dont une telle complexité transforme la catégorisation et les recommandations en simples sophismes. Ensuite, face à l'effondrement de ces moyens de subsistance et de ces modes de vie alors que les sociétés vacillent et s'effondrent, l'idée que l'on puisse cartographier l'éventail des réponses utiles de manière sûre et significative semble être un autre exemple de l'esprit humain qui cherche à échapper à la terreur de la vulnérabilité par des histoires de connaissance et de préparation. C'est pourquoi l'un des plus grands spécialistes mondiaux du leadership, le professeur Jonathan Gosling, a affirmé que le « leadership d'adaptation » sera nécessairement émergent et provisoire, plutôt que grandiloquent, visionnaire et illusoire (oui, tout ce que les flagorneurs décrivent actuellement comme du leadership). Cela signifie que la meilleure chose que chacun d'entre nous puisse faire est d'aider à desserrer les étranges manières dont nous, humains, pensons et nouons des liens les uns avec les autres, qui nous empêchent de percevoir ce que nous devrions faire différemment. L'une de ces étranges manières consiste à penser que quelques experts peuvent généraliser des situations complexes et imprévisibles sur une planète de près de 8 milliards d'habitants.

Cela peut sembler être un préambule plutôt sombre à une proposition de nouvelle alliance internationale sur l'adaptation. Mon objectif est d'expliquer en préambule pourquoi la meilleure chose que nous puissions faire, qui soit systémique en matière d'adaptation au changement climatique, est de nous organiser contre les choses stupides financées et autorisées au nom de l'adaptation. Par stupides, j'entends des opportunistes cupides qui profitent de situations difficiles pour gagner de l'argent et acquérir un statut. Actuellement, l’une de leur principale méthode est d’utiliser la crise climatique pour justifier des projets d'infrastructure massifs. Nombre de ces projets ne tiennent pas compte des projections climatiques les plus pessimistes et de la manière dont elles affecteront les inondations, le niveau des mers, les précipitations, etc. En outre, ces projets s'accompagnent d'une forte empreinte carbone et d'une dette importante : ils doivent donc avoir des plans d'affaires qui reposent sur l'expansion des systèmes à l'origine de cette situation tragique, et écarter les personnes qui ne feront pas gagner d'argent aux investisseurs. Par conséquent, il faudrait prononcer une interdiction mondiale du financement transfrontalier des infrastructures qui ne se préparent pas aux pires scénarios, ne sont pas à faible émission de carbone, n'ont pas un faible impact sur la biodiversité et ne sont pas tenus responsables devant les personnes affectées par le projet. Une telle interdiction signifierait probablement que, par exemple, aucun nouvel aéroport, aucune nouvelle autoroute ou aucune nouvelle station balnéaire de luxe construite sur des défenses contre les inondations ne seraient financés par des fonds étrangers. Cet accord ne verra donc probablement pas le jour. Au lieu de cela, le contraire est susceptible de se produire avec des incitations gouvernementales convenues pour aider le financement privé à se diriger vers des projets d'adaptation, avec des filtres faibles ou des engagements vagues sur l’émission réduite de carbone, la participation locale et autres. Par conséquent, ce type d'Alliance internationale devra naître d'organisations et de réseaux de la société civile qui s'engagent à mener un combat juste mais vain contre les capitalistes du désastre qui profitent de la crise climatique.

L'une des choses les plus importantes à retenir pour ceux d'entre nous qui travaillent sur l'adaptation au changement climatique est de ne pas succomber à la mentalité d’une approche projet par projet de l'aide humanitaire et au développement. Aucune société ne s'est transformée grâce à la bienveillance de quelques donateurs et aux subventions sporadiques accordées à des individus bien intentionnés venus apporter leur aide. De nombreux individus ont bénéficié de projets humanitaires et de développement spécifiques, mais il est extrêmement ténu pour les personnes travaillant dans le domaine de l'aide au développement d'affirmer que ces projets ont changé les sociétés. Au contraire, les sociétés changent en raison de l'évolution des technologies, de l'économie et de la politique. Par conséquent, même s'il est formidable de célébrer les exemples d'adaptation locale au changement climatique, il serait illusoire de la part des ONG de limiter notre agenda sur la façon d'aider les gens à s'adapter au chaos climatique à la promotion de quelques exemples de réussite dans l'adversité. Au contraire, il est important de se concentrer sur la manière de réduire les obstacles systémiques qui empêchent les gens de s'adapter correctement à leur situation locale. Par conséquent, une Véritable Révolution Verte plus complète visant à répondre à l'agenda plus large de ClimatePlus est, selon moi, un moyen important de travailler sur l'adaptation, que l'on soit intéressé•e par des approches simples, transformatives ou radicales de cette adaptation.