Taxer le carbone plutôt que les recettes et réformer les marchés

- partie 2 d'une Véritable Révolution Verte


Voici la 2e partie d'un essai en sept parties sur le type d'innovations politiques qui répondraient à la difficile situation environnementale et sur les raisons pour lesquelles la plupart des professionnels de l'environnement ignorent ces idées, et promeuvent à l’inverse des idées limitées et restrictives. Ces idées pour une Véritable Révolution Verte offrent un contraste avec les programmes actuels, dans le but d'encourager un mouvement environnemental mondial en tant que force politique basée sur les droits. Dans cet essai, je me concentre sur ce sujet passionnant qu'est la fiscalité, et sur la manière de la transformer pour fournir les signaux-prix et les fonds nécessaires pour modifier radicalement les comportements de manière équitable.

Pour recevoir chaque partie de l'essai, abonnez-vous à mon blog, en utilisant le champ sur la droite. Pour échanger avec d'autres personnes qui réagissent à ces idées, participez au groupe Deep Adaptation Leadership (que je consulte) et Adaptation Radicale (Deep Adaptation) sur LinkedIn ou au groupe Adaptation radicale (Deep Adaptation) sur Facebook. Vous pouvez également suivre le hashtag #RealGreenRevolution sur Twitter. La première partie de l'introduction fournit le contexte.

Traité mondial sur la taxe carbone


En 1997, l'une des principales idées débattues pour aider la planète à réduire ses émissions de carbone était la taxation des émissions de carbone. La plupart des gouvernements avaient l'habitude d'utiliser des taxes pour influencer les comportements par le biais des systèmes de marché, et cette solution pouvait être testée assez facilement. Toutefois, sous la houlette du vice-président américain de l'époque, Al Gore, la délégation des États-Unis a mis un terme à cette initiative et a plutôt avancé l'idée de créer des marchés pour les permis d'émissions de carbone. C’est ainsi que le protocole de Kyoto a été créé et a lancé ce processus, au moyen duquel les pollueurs ont reçu des permis qu'ils pouvaient ensuite vendre. De nombreux experts environnementaux ont cru aux arguments des relations publiques des entreprises, selon lesquels un système de quotas d’émissions cessibles serait meilleur pour le climat en identifiant des limites spécifiques. Cette chimère carbonée dans notre ciel en surchauffe a été surexploitée par les élites financières. Ce système n'a rien changé ou presque aux émissions de carbone, qui ont continué à augmenter de plus en plus vite dans le monde entier. Je mentionne cette histoire car elle illustre comment l'influence quotidienne ordinaire de personnes travaillant pour des entreprises et de gouvernements axés sur les intérêts des entreprises peut produire des résultats « omnicides ». Ce mot signifie la destruction de toute vie, et je l'utilise parce que 1997 était la dernière chance pour l'humanité de créer un cadre qui aurait pu suffisamment ralentir le changement climatique pour éviter une catastrophe d'origine humaine pour la vie sur Terre. Je ne vous en veux pas Al, mais le fait que vous soyez cité avec respect et enthousiasme par les écologistes aujourd'hui suggère à quel point le mouvement et le secteur verts sont devenus mal informés, non critiques, timides et serviles envers le pouvoir.

Une taxe carbone mondiale sur l'énergie est encore sensée aujourd'hui, et pas seulement pour la réduction des émissions. Elle devra être appliquée au niveau de la production du carburant ou de l'énergie qui sont destinés à la distribution commerciale, afin que la gestion de la taxe soit aussi efficace que possible et n’oblige pas les utilisateurs finaux à supporter des coûts bureaucratiques supplémentaires. Au lieu de cela, les producteurs de carburant et d'énergie répercuteraient les coûts sur la chaîne de valeur. Une telle taxe doit faire l'objet d'un accord entre gouvernements pour être appliquée au niveau mondial. En effet, cette taxe doit être fixée à un niveau qui affectera les pratiques organisationnelles et les bénéfices afin de réduire les émissions de carbone. Si elle n'est pas appliquée partout, cela créera une concurrence déloyale et les investissements se dirigeront vers les juridictions qui ne l'appliquent pas. Ainsi, le meilleur endroit pour convenir d'une taxe carbone mondiale intergouvernementale sur l'énergie est l'Organisation Mondiale du Commerce. Celle-ci dispose d'un système permettant de statuer sur les cas de non-conformité et d'en assurer l'application. Les exportations de biens et services en provenance de pays non conformes seraient considérées comme du dumping sur le marché mondial et les pays pourraient imposer des droits de douane en conséquence. La question suivante est de savoir quels niveaux de taxes sur le carbone seraient appropriés. Il faudrait convenir d'une formule pour les différents niveaux de taxation du carbone dans les pays, qui varieraient en fonction de leurs taux de pauvreté. En outre, des accords devraient être conclus sur les niveaux de subvention directe ou indirecte des énergies émettrices de carbone qui pourraient être autorisés avant leur élimination progressive. Une telle taxe ne couvrirait pas les sources non énergétiques d'émissions de carbone, mais elle constituerait une aide majeure à la décarbonisation de l'énergie. Des accords devraient être conclus sur les normes internationales de mesure des émissions de carbone et sur divers autres aspects du fonctionnement de cette taxe.

Pour éviter que la taxe n'entraîne un contrecoup social et ainsi le retrait des pays du système, il faudrait accorder une attention particulière aux implications sociales. Alors qu’une décision pourrait être prise au niveau national, un traité devra obtenir l'engagement de chaque pays que les recettes de la taxe carbone seront en grande partie destinées aux personnes à faible revenu dans leurs pays respectifs, afin qu'ils puissent s’adapter. Il faudrait également mettre en place un système intergouvernemental de rapports et de plaintes concernant les résultats obtenus à cet égard. Si la taxe n'est pas convenue au niveau mondial et de manière équitable, et si les recettes ne sont pas clairement affectées aux personnes à faible revenu, les réactions négatives vis-à-vis de la taxe carbone déjà observées dans certains pays l'empêcheront d'avoir l'impact escompté. Pour y remédier, l'idéal serait de combiner cette taxe avec une réforme fiscale plus large que j'explique ci-dessous.
Avant de poursuivre, je tiens à préciser pourquoi cette proposition de taxe est meilleure que les idées lancées par certains experts environnementaux aujourd'hui. Cette proposition évite également de générer une surveillance intrusive des individus, qu'exigerait un système de quotas de carbone, et évite l'idée contre-productive que la source du problème est l'individu, plutôt que les systèmes qui lui fournissent les options et les signaux-prix. En outre, elle offre une alternative significative aux défauts d'une campagne de désinvestissement des combustibles fossiles. La campagne visant à inciter les grands fonds de pension, parmi d'autres fonds financiers, à se désengager des entreprises de combustibles fossiles s'est intensifiée ces dernières années et a connu quelques succès. Comme il existe de nombreux financements disponibles dans le monde entier qui n'ont rien à voir avec les pays où se déroulent les campagnes de désinvestissement, alors que les combustibles fossiles connaissent une demande continue, toute baisse du cours des actions des compagnies pétrolières entraînera simplement de nouvelles sources de capitaux. Si le cours des actions de sociétés comme Shell et BP baisse suffisamment, des entreprises ou des fonds d'investissement de pays comme la Chine, l'Inde et la Malaisie les reprendront, voire les privatiseront. Les combustibles fossiles continueront d'être extraits et des années d'attention de la part des activistes occidentaux auront été gaspillées, tout en renforçant l'idée que l'investissement éthique permet de traiter les grands problèmes publics au-delà des changements fragmentaires dans les pratiques individuelles des entreprises ̵ ce qui n'est pas le cas selon des décennies de preuves. Au lieu de cela, une action utile de la part des coalitions d'investisseurs serait d'appeler à un traité mondial sur la taxe carbone et de financer les travaux en ce sens. Alors qu'il serait difficile pour les nations d'adopter séparément des taxes carbone à un niveau qui changerait significativement les comportements, diverses politiques pourraient être adoptées pour supprimer les pressions exercées par les entreprises sur les autres pays soutenant la politique, ce que j'explore dans une section ultérieure sur la réglementation des investisseurs.

Cette politique est non seulement pertinente pour réduire les émissions de carbone, mais elle pourrait également encourager à raccourcir et simplifier davantage les chaînes d'approvisionnement. Cela favoriserait des systèmes de production et de consommation plus locaux et offrirait ainsi une certaine résilience face aux perturbations à venir des réseaux commerciaux mondiaux.

Transformation de la fiscalité


L'un des arguments expliquant l'échec des taxes carbone dans certains pays est qu'elles n'ont pas été associées à une nouvelle réforme majeure du système fiscal de manière à réduire la charge fiscale globale pour les travailleurs pauvres et les petites entreprises. Une transformation du système fiscal est nécessaire pour supprimer tout obstacle à l'embauche, tout en décourageant le gaspillage des ressources naturelles. Cela doit être fait d'une manière audacieuse qui puisse toucher le grand public, et éviter d'être vaincu par les campagnes de relations publiques des entreprises affectées. Par conséquent, je recommande d'abolir complètement l'impôt sur le revenu et de remplacer les recettes fiscales par des taxes sur les revenus des actifs financiers, la spéculation financière, l'extraction des ressources naturelles (hors recyclage), la taxe sur l'énergie carbone décrite ci-dessus, et d'autres taxes sur les utilisations du sol à grande échelle émettant du carbone, comme l'élevage. Une telle évolution de la fiscalité contribuerait à la fois à l'atténuation et, en décourageant l'épuisement des ressources naturelles, à la régénération écologique. En outre, afin d'aider les communautés à devenir plus autonomes grâce à une meilleure coopération interne, toutes les taxes pourraient être supprimées sur les biens de consommation de seconde main (par exemple, ceux qui ont eu un propriétaire précédent pendant au moins un an), sur la location de biens de consommation et sur tous les articles échangés ou prêtés par le biais d'une plateforme d'échange appartenant à la communauté (tant qu'une monnaie fongible n'est pas utilisée, c'est-à-dire une monnaie qui ne peut pas être dépensée en dehors des échanges).
Bien que ces mesures puissent être prises au niveau national, il serait préférable qu'elles s'inscrivent dans le cadre d'un effort international en faveur d'un traité fiscal mondial qui prenne explicitement acte de la situation difficile de notre planète et de la nécessité de réorienter les marchés en conséquence. Un tel traité devrait fixer des taux d'imposition minimums pour les sociétés Internet et les autres fournisseurs de services mondiaux, y compris les institutions financières, et mettre fin à diverses pratiques de gestion ou d'évasion fiscale, telles que les prix de transfert au sein des multinationales. Un tel traité contribuerait à restaurer les finances publiques afin qu'elles puissent prendre des mesures audacieuses sur l'ensemble du programme #ClimatePlus (décrit dans la première partie de cet essai).

Réforme de la réglementation commerciale


Actuellement, les accords commerciaux internationaux rendent difficile pour un gouvernement l’adoption d’une loi restreignant l'importation d'un produit d'un autre pays membre de l'OMC en raison de son mode de fabrication. Au lieu de cela, la réglementation doit se concentrer sur les qualités du produit lui-même. Il existe quelques cas où un pays parvient à exclure des importations qui ont été fabriquées illégalement, comme le bois. Toutefois, l'approche générale consiste à supprimer toute « barrière commerciale ». Cette mesure doit être supprimée des accords de l'OMC et les pays doivent être encouragés à réglementer les importations sur la base des méthodes de production, pour autant qu'ils fassent référence aux normes internationales pertinentes. Ainsi, la pression exercée sur les entreprises pour qu'elles externalisent leurs coûts sur la main-d'œuvre, la chaîne d'approvisionnement, la société et l'environnement sera réduite lorsqu'elles sont en concurrence au niveau international. Cela aidera les entreprises à contribuer à l'atténuation du changement climatique, et à la régénération écologique en particulier. Cela fournit également un contexte dans lequel les travailleurs et les propriétaires de petites entreprises puissent améliorer les facteurs de leur activité, ce qui les aidera à s'adapter aux perturbations croissantes à venir.

Réforme des entreprises


Les lois régissant la constitution et le fonctionnement des entreprises diffèrent grandement dans le monde. Toutefois, une caractéristique typique est la limitation de la responsabilité des administrateurs et des actionnaires pour les pertes ou dommages liés à une société. La nature de cette responsabilité limitée doit être modifiée, de sorte que si un certain niveau de préjudice est causé aux personnes ou à l'environnement, les administrateurs puissent être plus facilement poursuivis. Cela pourrait contribuer à réduire les extrêmes des pratiques néfastes des entreprises et permettre une régénération écologique. En outre, un nouveau principe de « responsabilité du capital » devrait être introduit dans la loi : la responsabilité des sociétés et la gestion de la propriété privée en général envers toute communauté considérablement affectée serait une exigence pour conserver ses droits de propriété sur cet actif. Cela signifierait qu'un propriétaire foncier devrait démontrer l'existence de systèmes de responsabilité à l'égard de ces communautés pour conserver son droit de propriété. De même, tout actionnaire d'une société serait tenu de s'assurer que la société dispose de processus lui permettant de rendre compte de ses activités à toute partie prenante considérablement affectée. En pratique, cette exigence serait intégrée à la fonction d'audit d'une société et ferait partie de l'obligation fiduciaire des gestionnaires de fonds. Chaque pays aurait ses propres méthodes pour promouvoir de manière crédible et significative cette responsabilité envers les communautés considérablement affectées, et les tribunaux décideraient des violations de ce devoir. Dans les cas graves, lorsque des mesures correctives ne sont pas prises, un propriétaire foncier ou un actionnaire pourrait perdre le droit de posséder son actif, dont les communautés affectées deviendraient bénéficiaires. Vous trouverez plus d'informations sur ce remaniement du concept des droits de propriété dans le secteur commercial et des responsabilités qui y sont associées dans l'introduction de mon livre de 2014 Healing Capitalism (téléchargement pdf).
Ces changements dans le concept et la législation des droits de propriété et de l'actionnariat dans les entreprises feraient de la prise en compte des personnes affectées un point de départ plutôt qu'une réflexion après coup. Ils permettraient de réduire systématiquement l'externalisation des coûts et des risques sur les autres et sur la nature. Par conséquent, ils inciteraient structurellement les entreprises à s'impliquer davantage, à leur manière, dans la réduction et l’arrêt des émissions de carbone, l'adaptation, la régénération de l'environnement et peut-être même les initiatives de restauration du climat.

Réforme des investisseurs et des assurances


Les investisseurs de toutes sortes, y compris les grands investisseurs institutionnels et les fonds spéculatifs, ont besoin de nouvelles réglementations importantes pour rendre le capital plus patient et l'orienter vers ce qui est nécessaire pour l'agenda #ClimatePlus. La réforme du droit des sociétés sera utile dans une certaine mesure. Mais des pratiques spécifiques au sein du secteur financier nécessitent une attention urgente, alors que nous cherchons à envoyer les bons signaux à l'économie réelle et à empêcher le détournement de la richesse dans des activités qui n'apportent aucune valeur sociale.
Par conséquent, une politique immédiate consisterait à interdire le trading à haute fréquence, car il draine les activités économiques utiles. Cette interdiction devrait concerner toutes les actions, les devises et les autres instruments financiers. En outre, la « vente à découvert » des actions devrait être réglementée de manière à en faire une simple « couverture » contre les risques plutôt qu'un centre de profit qui, lorsqu'il est répandu, incite à la volatilité. Toutes les institutions financières devraient être tenues de vérifier leur influence en matière de politique publique, de tout type et de partout. Elles chercheraient activement à l'aligner sur les positions de politique étrangère du pays où elles ont leur siège ou, dans le cas contraire, expliquer pourquoi dans un rapport public.
Le secteur de l'assurance joue également un rôle clé en favorisant les activités commerciales et en réduisant les risques et les coûts de certains projets. Le secteur de l'assurance pourrait se voir imposer l'obligation de refuser de couvrir une entreprise plus grande qu'une PME (petite ou moyenne entreprise) sans exiger qu'elle dispose d'un plan de gestion de l'environnement accessible au public (sous peine de voir la police d'assurance invalidée), qui doit inclure l'exclusion de certaines activités particulièrement dommageables.

À moins que le monde de l'entreprise et de la finance ne soit réorganisé pour soutenir les activités commerciales qui externalisent moins de coûts et de risques sur la société, l'agenda #ClimatePlus ne sera jamais systématiquement appliqué. Au lieu de cela, on continuera à nous dire de nous émerveiller et d’être rempli d'espoir par des sociétés et des entrepreneurs individuels qui font mieux sur certains aspects de la durabilité, alors que notre situation collective empire. Comme je l'ai dit lors de toutes les conférences sur la durabilité des entreprises auxquelles je me suis rendu au cours de la première décennie de ce siècle : il sera inutile de dire « notre entreprise est la plus verte » alors que toute la ville est en train de sombrer. Les changements doivent devenir une routine, en modifiant les incitations et les exigences à l’égard des personnes dans toutes les organisations. Demain, dans la prochaine partie de cet essai, j'explorerai les systèmes bancaires et monétaires, et les transformations nécessaires pour compléter ces changements de politique.
Jem Bendell

La traduction ci-dessous est basée sur : https://jembendell.com/2021/11/05/tax-carbon-not-income-and-reform-markets-part-2-of-a-realgreenrevolution/
Elle n'est pas tout à fait terminée, vous pouvez l'améliorer en nous rejoignant sur : https://mattermost.adaptationradicale.org/adaptation/channels/traductions//